Ils choisissent toujours le décor de mission secrète aux airs de Bangkok. Ils se sont dit que c'est ce qu'ils feraient jusqu'à ce qu'ils brisent le jeu—jusqu'à ce qu'ils parviennent à réaliser la mission sans erreurs, dans le temps requis. Les six derniers mois ont été passés à déjouer la salle BANQUISE, juste à côté. Maintenant qu'ils y sont parvenus, ils ont changé de décor. C'est parfait, parce que dans la séquence, ils doivent d'abord se sauver d'une base rebelle, située dans la forêt à l'extérieur de la ville—ici, les pouvoirs de Maelys leurs sont indispensables. Puis, ils se rendent jusqu'à la ville sans se faire repérer par les sentinelles—ceux qu'ils croisent, Cody s'en charge. Ils doivent atteindre, au centre-ville, un gratte-ciel où il y a des plans secrets à récupérer. Mais ils doivent faire vite, parce que le ciel gronde. C'est souvent là qu'ils ratent, lorsqu'ils ne sont pas alertes. Car Cody et Maelys ont beau pouvoir courir, grimper, se battre comme pas deux, sous la pluie, le pouvoir de Maelys leur est de moins en moins utile. La salle le sent. La salle le sait. La salle joue contre eux et la salle ne leur fera pas de quartier.

Ils sont à l'entrée d'une avenue piétonne où une masse humaine se meut, bruyante et agitée. À l'autre bout de la rue, ils aperçoivent enfin le gratte-ciel qu'ils convoitent. Lorsqu'ils y parviendront, ils devront escalader la façade d'une cinquantaine d'étages ou bien choisir de vaincre l'armada de gardes à l'intérieur. Ils ne se sont jamais rendus jusqu'au gratte-ciel, qui les nargue de loin, pas jusqu'à maintenant. Mais ce pourrait être aujourd'hui le jour. Dans le charivari de la rue, Cody croit entendre la salle d'entraînement rire. Elle se moque d'eux. Il déglutit et tente de repérer des tireurs d'élite ou des agents cachés dans la foule. Il se tourne vers sa comparse et lui demande :

CODY— Prête ?

Il glisse ses doigts entre ceux de Maelys et se faufile dans la foule. Parce qu'ils ne sont jamais allés si loin dans la simulation, Cody sent l'excitation de la nouveauté grandir derrière ses yeux comme une vibration fébrile. Tel un seul corps, Cody et Maelys traversent la foule sans toucher à personne, agiles et précis. Alors qu'ils en sont presque au milieu de l'avenue, la salle se fâche : le ciel, lourd, est déchiré d'un éclair. BOUM ! Ploc, ploc, ploc. Il sent une goutte lui tomber sur le front, couler sur sa paupière comme une cicatrice lui barrant l'œil. Ce n'est qu'une goutte, il le sait, et c'est pour ça qu'il ne s'arrête pas. Il serre la main de Lys et se met à courir encore plus vite. Il la presse, attendant qu'elle prenne les devants. Un phoenix mouillé ne vole pas aussi bien qu'un phoenix sec, ça, Cody se l'imagine très bien. Et s'ils ont besoin de feu ? Il sera bien inutile, lui, l'humain qui ne sait que donner des coups de pieds... le voilà qui recommence. C'est qu'il y a cette petite voix dans sa tête qui lui dit toujours qu'à côté d'elle, il ne sert pas à grand chose. Cody cligne des yeux et grogne pour se sortir de sa torpeur—mais c'est trop tard. Un homme comme une armoire à glace sort d'une ruelle et se cambre devant eux. Cody freine d'un pied solide, comme sur une patinoire. BOUM ! Ploc, ploc, ploc. La pluie s'accentue.

La salle sait qu'ils pourraient gagner, cette fois-ci. C'est un jeu, pense Cody, et pourtant la salle n'a pas encore peur de perdre.

BOUM ! Ploc, ploc, ploc.