Réunir l'intégralité de l'école Levram au réfectoire, ou comment faire passer une école de formation pour les potentielles futures nouvelles recrues d'une organisation chargée de protéger le monde – rien que ça – pour une école primaire. Depuis approximativement un mois qu'il était arrivé à Levram, c'était bien la première fois qu'il voyait autant de gens regroupés au même endroit en même temps. L'école était immense, et s'il doutait d'en avoir exploré ne serais-ce que la moitié – probablement en raison du fait qu'il passait une grande majorité de son temps libre à la salle de sport – voir autant de personnes rassemblées dans ce réfectoire à cet instant restait impressionnant...Et étouffant. Déjà légèrement vêtu, non seulement parce qu'il faisait encore assez chaud à Levram pour qu'une bouteille d'eau par jour ne lui suffise pas, mais également parce qu'on l'avait tiré d'une énième séance avec son meilleur ami, aussi nommé le sac de frappe. Suant à grosses gouttes, entouré de bien trop de personnes pour envisager de les compter ou d'espérer reconnaître un visage parmi cette masse compacte, Ivan avait deux priorités absolues, premièrement, ne pas lever les bras, parce que si efficace fut son déodorant, il ne doutait pas d'asphyxier ses voisins directs s'il se risquait à laisser s'échapper les émanations de ses aisselles. Deuxièmement, se concentrer sur le discours du Doyen, parce que quelque chose dans toute cette histoire sonnait faux, tout simplement. L'Index, il savait bien entendu ce que c'était : une liste qui recensait tous les mutants connus. Ça faisait partie des choses qu'on avait daigné lui apprendre pendant son mois à Levram, « les bases » en quelques sortes. Ça et le fait que les dieux Nordiques étaient en fait une vraie race vivant dans un vrai monde et qu'il arrivait que certains viennent faire un petit tour sur Terre. Le premier étant tout de même beaucoup plus facile à avaler que le deuxième cependant. Par conséquent, il était conscient que le fait que l'Index ait disparu représente un grand danger pour le monde. Mais...quelque chose clochait, tout simplement.

Premièrement, si l'Index avait disparu, comment était-il possible qu'il soit maintenant à Levram sans que personne autrefois ne s'en soit douté ? L'adage « la meilleure cachette est sous le nez de celui qui cherche » était pourtant bien connu, et le S.H.I.E.L.D ne manquait pas d'experts scientifiques, de cerveaux qui pourraient décortiquer des théorèmes pour le plaisir et qui avaient fait avancer la science plus rapidement que la Russie n'avait fait reculer l'Allemagne plus de quarante ans avant sa naissance. Par conséquent, comment étais-ce possible que personne jusque là n'ait lancé de fouilles à Levram ? Et puis, cette énigme, ça sonnait faux aussi. Le principe d'une énigme, c'est que celui qui l'énonce veut que quelqu'un en trouve la solution. Par conséquent, la personne qui détenait l'Index tenait à ce que ce dernier soit retrouvé. Cette évidence, si elle semblait échapper à plusieurs personnes dans la salle dont l'activité s'accroissait au fur et à mesure que le Doyen expliquait la situation et déclenchait une chasse au trésor géante, frappa Ivan comme bien des matraques l'avaient fait par le passé en Sibérie. Maintenant bien plus concentré sur sa réflexion que sur la chaleur ambiante, ce qui l'entourait lui paraissait de plus en plus silencieux, alors que des idées se formaient dans sa tête. L'Index était remis en jeu par quelqu'un qui l'avait dérobé, ou caché, parce que ce genre de choses ne tombe pas d'un sac à dos. Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette énigme ? Pourquoi Levram ?
Plusieurs réponses taraudaient l'esprit du Russe. La première, qui était la plus logique, était l'idée de test. Que l'Index n'avait jamais vraiment disparu, et que cette chasse au trésor n'était en fait qu'une mascarade organisée par quelqu'un au sein du S.H.I.E.L.D, voire par le Doyen, afin de tester les élèves. On pourrait rapporter ce postulat à une quelconque théorie du complot, mais était-elle pour autant dénuée de tout sens ?
La deuxième réponse, qui effleurait à peine la conscience de l'ancien prisonnier compte tenu de son manque d'attention vis à vis des rumeurs qui circulaient à demi-voix loin des oreilles indiscrètes, se résumait également par une idée de test, mais à un but différent. Il avait déjà entendu, quelques fois, arrivant dans un couloir où deux élèves murmuraient tout bas, un mot qu'il ne comprenait pas vraiment. « Phaenix ». Il n'avait absolument aucune idée de ce que ce nom pouvait bien représenter, si ce n'était l'oiseau mythique qui renaît de ses cendres, et pour être honnête, il n'avait jamais cherché à en apprendre plus. Personne n'était jamais venu lui susurrer ce mot à l'oreille, personne ne l'avait jamais évoqué devant lui, et pourtant, il l'avait entendu, plusieurs fois, de la bouche de personnes différentes, qui le prononçaient comme si le simple fait de le dire pouvait amener le tonnerre des dieux à s'abattre subitement sur le monde. Alors, peut-être, si ce n'était pas un test « pour les élèves » étais-ce quelque chose en rapport avec ce « Phaenix ». Au final, il ne considérait pas vraiment cette éventualité.

Le Doyen avait fini de parler, les élèves se dispersaient déjà dans les couloirs, se hâtant comme si leur vie en dépendait, on marchant simplement, d'un air plus lucide. Ivan était resté planté là, fixant le Doyen droit dans les yeux avec l'air de celui qui tente de sonder votre âme, de vous faire parler. Hélas, il avait écopé du pouvoir de manier l'énergie cinétique, pas de lire dans les pensées, et il se doutait que la force mentale du Doyen, de toute façon, serait largement supérieure à la sienne s'il avait eu ne serais-ce que la capacité de faire quoi que ce soit de la sorte. Mais son regard, toujours planté dans les yeux du chef suprême de Levram dont il ne savait pas s'il le regardait ou non tellement cet homme avait de présence, passait bien la conclusion de sa pensée, tout ceci était trop gros pour être vrai.

Ni l'agitation ambiante ni le temps qui s'écoulait au même rythme que toujours ne pouvaient enlever cette idée à Ivan que quelque chose ne tournait pas rond dans cette affaire. Rien ni personne n'aurait pu, à l'instant où son regard était tout dirigé vers le visage du Doyen afin d'y déceler une quelconque erreur montrant qu'il jouait le jeu, quoi que ce soit qui aurait pu confirmer ou infirmer l'hypothèse du russe que tout ceci n'était qu'une mascarade faite pour tester Levram et ses membres, et peut-être un objectif caché découlant de ces tests. Un examen surprise peut-être ? Une mise en situation ? Tout était trop gros, vraiment trop gros, pour que personne ne pense comme lui. Le colosse suintant était persuadé que parmi toutes les personnes encore présentes dans le réfectoire qui ne s'étaient pas lancés à la poursuite d'un fantôme, quelqu'un pensait comme lui. Et peut-être même parmi ceux qui s'étaient lancés à la poursuite du Graal ou de son fantôme. Mais il devait se faire une idée, test ou pas, il devrait participer, et se ridiculiser à tourner en rond dans Levram jusqu'à ce qu'un bienheureux, probablement tiré au sort pour être le complice de cette belle histoire, parvienne à localiser l'Index, et qu'une épreuve finale les y attende. Ivan n'était pas très enjoué à l'idée de faire cette chasse au trésor, peut-être étais-ce parce qu'en raison de cette chaleur, pour lui, étouffante, le fait que tout le monde s'excite ne ferait qu'accroître la tension, et donc le sentiment d'étouffement, faisant encore plus suer l'ours qu'il devenait à force de ternir ainsi sa senteur. Ou peut-être était-il simplement de mauvaise humeur d'être encore sobre, tout restait possible.

Soudain, une chape de plomb recouvrit Levram. Le noir complet s'installa dans le réfectoire où Ivan se trouvait encore, à peine décidé à mettre un pied devant l'autre, et, presque de façon simultanée, son DISC s'alluma, le faisant sursauter là où la perte de luminosité ne l'avait qu'à peine perturbé. Manquant de fracasser son bras contre une table, tellement peu habitué à l'avancement de cette technologie, il se calma en se rappelant que les machines étaient leurs amis et pas simplement des punching-balls qui marchaient à l'insulte et au fouet, et regarda l'écran lumineux sur son poignet avec un mélange de curiosité et d'agacement. L'énigme qui s'y trouvait écarta tous doutes qui auraient pu le tirailler quant au fait que tout ceci était un test, il en était maintenant persuadé, mais aussi, il s'étonna de ressentir un brin d'esprit de compétition remonter au creux de son ventre, là où se mélangeaient normalement les effluves d'alcool. L'énigme lui posait un soucis, un seul : la paix. Le reste était limpide comme de l'eau de roche : là où les équipes s'affrontent N'importe quel endroit où une compétition pouvait avoir lieu était ici possible, le gymnase, les salles d'entraînements, les salles de combat, mais aussi la bibliothèque, les salles de science, les équipes s'affrontaient n'importe où, car toute classe est une équipe, toute unité est une équipe, tout groupe est une équipe, et la vie n'est, au fond, qu'un éternel combat. Mais le lieu se précisait dans la seconde partie de l'énigme : là où les vainqueurs se créent. Pour qu'un gagnant émerge, il faut qu'un perdant soit clairement présent. Dans les salles d'entraînement et de combat, il n'y a pas de défaite, juste de l'enseignement. Le même raisonnement s'applique pour la totalité des endroits, on ne perd jamais, on ne fait que recevoir un enseignement, partout au monde, sauf...Lors d'un événement sportif. Là, la défaite est réelle, tout comme la victoire. Lorsqu'une équipe gagne 3 à 2, peu importe de savoir si la défense a fait une erreur, si le gardien était mauvais, si tel ailier devrait se positionner différemment, tout le monde s'en fiche, le résultat est là, vainqueur, vaincu, point...

Plongé dans ses réflexions pour savoir ce que signifiait cette histoire de paix, et ce, sans prendre en considération le fait que peut-être, éventuellement, le test pouvait avoir une limite de temps et qu'il était en train de se planter royalement à force de chercher à trouver le cacao dans le sac de poudre à canon, une lumière dirigée vers son visage le tira de ses pensées et lui fit redresser la tête juste assez pour planter son regard dans celui de son camarade : Cody. C'était un bon gars, Ivan l'aimait bien, parce qu'il était intelligent, mais aussi fort, et la force était quelque chose d'important pour le trentenaire, car elle permettait de protéger ce pour quoi on se battait. C'est bien gentil de pouvoir réciter jusqu'à la centième décimale de pi, mais quand on est incapable de se défendre contre une menace qui ne vient pas d'un nombre mais plutôt d'une lame, c'en devient problématique. Lui rendant son salut, le colosse considéra quelques instants ses paroles avant de répondre d'une voix qu'il tenta d'amputer de tout accent.

-Le gymnase, il n'y a pas de vainqueurs dans les salles de combat...Et oui, c'est un piège, une épreuve, plutôt. Une épreuve pour les forts, peut-être pour des gars comme nous. Je crois que la nuit ne fait que commencer...Allons, on a assez de retard, suis moi de près.

Prenant quelques instants pour estimer la foule, Ivan fit appel à son entraînement de linebacker pour voir tous les passages possibles. Ils allaient partir à la course -- il savait que Cody pourrait le suivre, il n'avait absolument aucun doute là dessus -- car maintenant que cette idée d'épreuve avait émergé dans son esprit, il se disait que si quelqu'un devait participer à une épreuve de force, Cody et lui étaient parmi le haut du panier, car ils étaient de très bons combattants, et qu'il fallait éviter que d'autres élèves de Levram, moins aisés de leurs poings, ne se retrouvent à participer à une épreuve qui ne leur correspondrait pas. Lorsqu'il eut bien pris en compte les mouvements de la foule, aidé par la luminosité des DISCs qui éclairaient les visages, Ivan s'élança, ignorant complètement l'odeur corporelle qui le suivrait probablement sur des dizaines de mètres, dans une course comparable à celle d'un mélange entre une gazelle et un ours polaire. Il s'esquivait, se tendait, se décalait, comme s'il avait en face de lui des dizaines de défenseurs prêts à le plaquer, alors qu'en fait, personne ne faisait vraiment attention à lui. Parfois, lorsque le passage était trop étroit pour qu'il soit sûr que Cody, qui n'avait pas pratiqué de football américain à sa connaissance, ne puisse le suivre, il jouait des épaules pour écarter un peu les hésitants ou les traînards. Après tout, ils ne lui en voudraient pas puisqu'ils ne pouvaient pas le voir, et il était déjà bien assez en retard comme ça.
Lançant quelques fois un regard par dessus son épaule pour s'assurer que son compagnon le suivait, Ivan avait suivi l'un des rares chemins qu'il connaissait maintenant par cœur dans Levram : celui qui allait du réfectoire au gymnase.