Cette sensation de se noyer. Une toux qui disparaît jamais, et une promesse d'un avenir de merde. Ou du moins, c'est comme ça qu'il a décidé de la voir. Parce que Vadim, il a jamais vraiment su regarder la vie du bon côté, c'est comme la face cachée de la lune. La face de la vie avec des alarmes pour se rappeller de prendre ses médocs et de trop longues heures passées devant des murs blancs. Juste pour dire, parce qu'on le sait que ce qu'il a c'est incurable, et que s'il passe les quarante ans, les médocs feront plus rien pour lui. Il se trouve un peu stupide, de rester dans le déni tout le temps. Comme si en tirant une telle gueule ça allait soudainement retirer de ses poumons tout ce liquide. Ça devenait tellement intenable pour tout le monde que son père a fini par foutre le camp, une valise vide dans le coffre d'un taxi et à la main des papiers avec cet alphabet qui vient pas d'ici. Si Vadim avait su, il lui aurait dit de rester, c'est pas grave c'est rien qu'un gène. Il pouvait pas le savoir Dmitri Belyakov que son fils aurait 25% de chance d'être atteint de cette saleté de maladie. Il pouvait pas savoir que la mère de son gamin aussi était porteuse. Et puis il a pas su non plus que tout ça, ça importait tellement pas à Vadim.

Vadim et sa mère, ils sont un peu devenus léthargiques après que le monsieur Belyakov soit parti. De toute façon, Vadim et sa mère n'ont jamais rien eu à se dire. Vadim il passait de moins en moins de temps à la maison, plus de temps à faire des conneries, et c'est là qu'il est appparu Vadim la grande gueule, Vadim pas de gêne, Vadim le cynique. Mieux valait comme ça que d'être confronté avec soi-même tellement lâche, mieux valait comme ça plutôt que d'étouffer à la maison devenue trop grande, surtout qu'il peine déjà à respirer en temps normal. Il se retrouvait souvent sur le toit, à griller des cigarettes, parce que peut-être que comme ça il aura jamais l'occasion de devenir vieux. Pas vraiment par idée morbide, simplement qu'il trouvait que y'a rien d'intéressant à la vie de vieux et il arrivait pas à s'imaginer un avenir. Il a beau se débrouiller sans trop de mal à l'école, c'est pas comme s'il mettait vraiment des efforts dans ses études. Et il sait qu'il pourra jamais continuer à étudier passé ses dix-huit ans. Les Belyakov ont jamais vraiment roulé sur l'or. Enfin malgré tout... Il y a un truc qui l'intéresse bien. Mais pas question d'en parler à qui que ce soit, y'a jamais personne qui a lu ce qui se trouve dans ses carnets, qui traînent au fond de sa poche, au fond de son sac. Des mots qui couvrent toutes les pages, des idées, des trucs beaux.

 Vadim il s'était habitué à sa routine d'élève moyen et s'attendait pas à ce qu'elle disparaisse comme ça, d'un coup. C'était un jour en apparence comme les autres, mais c'est toujours comme ça, ça se passe toujours lorsque tout semble normal. Il était une fois de plus dans cette grande prison aux murs immaculés, pour des scans. La routine. Ce qui était pas prévu par contre, c'était le dérèglement du scan, y'a eu une surdose de radiations. Les médecins s'en étaient rendu compte, et ont passé une série de tests supplémentaires. Rien à signaler. Pourtant à ce moment, y'a bien un truc qui s'est modifié chez Vadim. Sauf que c'était rien de visible avec des instruments scientifiques.

Au début, ça a commencé avec des sensations récurrentes de déjà-vu. Il s'en est pas vraiment alarmé, il se disait qu'il était déjà tout déglingué, pourquoi pas ajouter un problème neurologique à la liste? Puis son subconscient s'en est mêlé. Des rêves bizarres, inconfortables. Des scènes qui semblent trop réelles, trop intenses. Des scènes qui se matérialisaient dans un futur proche. Vadim, il continuait à tenter d'ignorer ça, parce qu'il vit toujours dans le déni, sur tous les plans. Mais ça devenait inévitable. Des maux de têtes, douleur perçant à travers ses tempes, un son aigu dans ses tympans en plein jour, des images qui se forcent dans son esprit, comme si son cerveau était branché sur une autre fréquence, des événements qu'il voit se réaliser. Des gens qu'il n'a jamais vu auparavant. D'ailleurs, Vadim ne se voit jamais lui-même dans ces visions. Et ces prémonitions, ça se produisait trop souvent pour être des coïncidences. Vadim, il s'accrochait, il voulait pas y croire. Il n'arrivait plus à les contrôler. Il lui suffisait d'effleurer quelqu'un, en se frayant en chemin dans les couloirs bondés, en serrant une main pour que des images et des sons jaillissent dans son esprit sans qu'il les contrôle. Et ça n'a fait que raviver son anxiété et sa personnalité névrosée dont il voudrait tant se débarrasser une fois pour toutes.

Il savait qu'on viendrait le chercher. Parce qu'il les a vus, ces hommes en noirs, dans sa tête, un jour avant que ça se concrétise. Même qu'il s'est pas gêné pour leur faire savoir. Je vous attendais. Une cigarette entre les lèvres. Pour Vadim, c'était une bonne nouvelle. Il allait pouvoir continuer son éducation, d'une certaine manière. Même si d'après le blabla qu'il n'a écouté que d'une oreille, ça impliquait surtout son pouvoir. Jamais Vadim pourrait le qualifier de don. Et surtout, il a peur de son don. Peur de voir une catastrophe en avant-première. Vadim, il se demande si le futur peut être modifié. Si oui, il sait pas s'il est prêt à porter cette responsabilité. Et si non, il doit juste subir.

Vadim, il a pas dit grand-chose à sa mère. Il a jamais parlé de ses visions, parce qu'il a déjà de la difficulté à lui parler de quoique ce soit. Pourtant, quand le S.H.I.E.L.D. a débarqué, il a senti le besoin de tout déballer. De tout dire, tous les trucs qu'il hésitait à dire, parce que c'était trop froid à la maison. C'était bizarre, c'était difficile et il arrêtait pas de passer de l'anglais au russe alors sa mère a du en manquer des bouts. Et puis il a quitté la maison une cigarette entre les dents, une autre sur l'oreille, parce qu'il peut vraiment pas s'en empêcher au fond.